Appel à communication

Appel à communications pour la seconde journée du colloque : questionnements croisés sur le renouveau syndical

Colloque organisé par les RT 18, 25 et 30 de l’Association Française de Sociologie (AFS)

14-15 novembre 2024 au CNAM

 

Ces dernières années, la place et le rôle des organisations syndicales font l’objet de discours contradictoires. En 2019, beaucoup d’analyses du mouvement des Gilets jaunes ont présenté les syndicats comme dépassés, discrédités, voire délégitimés. En 2023, nombre de commentaires ont à l’inverse vu dans le mouvement contre la réforme des retraites la preuve de leur centralité retrouvée. Au-delà de ces représentations d’un syndicalisme moribond ou en plein renouveau au gré de l’actualité sociale, nous pensons nécessaire de saisir les dynamiques - parfois contradictoires - à l’œuvre depuis plusieurs décennies sans limiter la réflexion au seul cas français. Si les organisations syndicales ont à de nombreuses reprises montré leur capacité à mobiliser des salarié.es pour défendre des acquis ou obtenir des progrès sociaux, ces mouvements peinent désormais à gagner, ce qui pose notamment la question de l’efficacité de leurs modes d’action et de leurs structurations dans le contexte actuel.

Les reconfigurations du travail (néo-taylorisme et toyotisme, nouveau management, flux tendu, numérisation, montée des troubles psychosociaux), de l’emploi (individualisation du rapport salarial, segmentation de l’emploi, sous-traitance et ubérisation) et des relations professionnelles (création des CSE, recul des droits syndicaux, redéfinition de la RSE) contraignent les pratiques syndicales et affaiblissent les organisations. À cette complexité s'ajoute l'enjeu du changement climatique, emblématique des contradictions que génèrent le soutien à l’activité économique et à l’emploi d’un côté, la nécessité de protéger les ressources naturelles, le climat, la santé des salariés et des consommateurs de l’autre. Des tensions comparables existent sur l’égalité femme-homme, la lutte contre les discriminations d’âge et de race, l’intervention dans la gestion des entreprises, la défense des travailleurs en lien avec leurs statuts d’emploi et situations personnelles (comme les sans-papiers).

Le colloque explorera les reconfigurations contemporaines du syndicalisme en diversifiant les échelles d’observation : du niveau localisé de l’entreprise ou sectorisé de la branche professionnelle à l’échelle nationale, en France ou ailleurs, jusqu’au niveau international. Nous souhaitons ainsi analyser les luttes sociales récentes aux États-Unis (dans l’enseignement ou l’automobile), en Allemagne (dans les transports) ou au Royaume-Uni (dans les transports, la santé, l’enseignement). Là encore, la dialectique entre déclin et réveil du syndicalisme suggère d’interroger le contexte de ces mobilisations, leur inscription dans des dynamiques longues, la contemporanéité de leur manifestation et les contingences qui les singularisent. Si ces questions concernent les sociologues, elles font également écho aux recherches menées en histoire, en science politique, en économie, en science de gestion et en droit. Ce colloque est donc évidemment ouvert aux chercheurs et chercheuses de ces disciplines dont les travaux aident à dessiner un état des lieux.

Nous attendons des propositions de communication dans l’un des trois axes suivants.

Axe 1. L’écologie : un nouvel enjeu syndical ?

Depuis plusieurs décennies, à mesure que progressait la dynamique de pertes d’emplois industriels en France et dans les autres pays occidentaux, la préservation de l’emploi a été constituée en enjeu syndical majeur. Cette perspective syndicale a été mise en cause depuis, par un questionnement sur le rythme et le contenu de la croissance prenant en considération la limitation des émissions de CO2, qu’elle soit forcée (par la pénurie des énergies fossiles) ou choisie. Cette contradiction est renforcée par l’inscription de la question écologique à l’agenda des politiques publiques : « la transition écologique » interroge la conciliation de logiques antagonistes entre, d’un côté, un soutien à la croissance économique sous domination financière, d’un autre côté, le soutien à la modification structurelle des modes de production et de consommation.

Un regard historique sur les luttes salariées touchant, par exemple, la santé ou l’amélioration des conditions de travail, suggère toutefois de prêter attention à la façon dont les syndicats traduisent la question écologique en enjeux sanitaires, sociaux et politiques, en relation avec des réalités concrètes. Le travail constituant souvent un angle mort de la pensée du vivant, les syndicats développent-ils un discours et une expertise originaux sur l’écologie ?

Ces questions se déclinent à différentes échelles : entreprises, unions locales, branches, confédérations européennes, etc. L’un de nos objectifs sera de comprendre comment ces questions sont  (ou non) appropriées par les militants syndicaux à ces différents niveaux,  en termes de modalités de mobilisation (mots d’ordre, alliances avec des forces politiques, associatives ou humanitaires), de relations avec les partenaires sociaux (RSE, accords sur la santé au travail, conversion industrielle, etc.), mais aussi dans le travail syndical lui-même (formations spécialisées, oppositions au sein des entreprises, conflits politiques, spécialisation des élus, apparition de nouvelles organisations, etc.).

Axe 2. Le syndicalisme à l’ère du numérique

Désormais, les technologies numériques d’information et de communication ont pris une telle place dans nos sociétés et dans les mondes du travail qu’ils ont transformé les pratiques syndicales et, plus largement, les relations professionnelles. Dès lors, se pose pour les syndicats la question des implications (politiques, sociales, éthiques) de la diffusion et de la prégnance du numérique, de la façon dont celui-ci modifie leur activité (en termes de coordination, de rapport aux syndiqués, aux militants…), leurs objets d’intervention et leur organisation. On peut ainsi se demander si et comment ces dispositifs transforment les pratiques syndicales aussi bien au niveau confédéral qu’au plus près du terrain (relations avec les salarié.es, adhésions, tractages, questionnaires, BDES, échanges avec le patronat ou avec les autres organisations syndicales…). 

Les syndicats seraient ainsi contraints de se positionner vis-à-vis de ces technologies, aussi bien pour eux-mêmes que pour les travailleurs qu’ils défendent. Pour eux-mêmes, on pourra questionner la place que ces technologies tiennent dans leur stratégie de communication interne et externe, dans la recomposition de leur fonctionnement démocratique, dans leur lutte contre la désinformation (notamment patronale ou politique), dans leurs usages des réseaux sociaux (comme outils de coordination de l’action collective) ; ceci en s’inscrivant eux-mêmes dans la législation prévoyant un droit à la déconnexion. Par ailleurs, ce rapport aux technologies n’est-il pas conditionné par des effets générationnels ou par la fracture numérique (illectronisme) ? Par rapport aux salariés qu’ils défendent, on analysera en quoi le digital reconfigure leurs répertoires d’action. Dans quelle mesure les syndicalistes s’approprient-ils les opportunités offertes par les dispositifs numériques (par exemple en matière de réunion à distance, de recrutement via des IA, d’évolutions du travail et de démocratie organisationnelle, etc.) ? On interrogera également les effets pervers avec lesquels ils doivent compter (intensification du travail, brouillage des frontières vies privée / militante, risques pour la confidentialité d’informateurs comme certains salariés hauts placés ou de lanceurs d’alerte ne souhaitant pas être affichés comme sympathisants) ?

Cet axe s’intéressera aux multiples enjeux socio-politiques, réputationnels et culturels de la digitalisation des relations professionnelles. Si le capitalisme a déjà largement amorcé son virage numérique (économies de plateforme, digital labor, financiarisation mondialisée, trading haute fréquence, etc.), nous nous demanderons ce qu’il en est du côté des syndicats.

Axe 3. Le syndicalisme et l’action collective : quels enjeux et recompositions ?

Le troisième axe d’analyse concerne les mobilisations. Si le mouvement contre la réforme des retraites a parfois été interprété comme un renouveau du syndicalisme, il en a aussi révélé des fragilités structurelles, notamment la difficulté à construire des grèves et à mobiliser les salariés sur les lieux de travail. Cette difficulté s’inscrit dans un contexte de plus long terme marqué, d’une part, par l’affaiblissement des collectifs syndicaux dans de nombreuses entreprises, d’autre part, par l’existence de mobilisations collectives a-syndicales et/ou extra-syndicales, allant des coordinations des années 1980 aux Gilets jaunes en passant par les mouvements écologistes ou féministes. 

Peut-on alors parler de recomposition de l’action syndicale en termes de thématiques ou de modes d'action ? Quelles conditions sociales et organisationnelles favorisent, ou restreignent, ces mobilisations, considérant les évolutions des organisations de travail (ex : personnel dispersé ou en télétravail, "planneurs", management automatisé) ? Dans quelle mesure les difficultés des militants syndicaux pour construire l’action collective ont-elles changé (contournement par les directions d’entreprise dans une perspective de construction de relation "directe" avec les salariés, fragmentation des collectifs de travail, dépassement "par la base" dans des situations de crise, etc.) ? Observe-t-on une continuité des luttes pour l’emploi, les salaires ou les conditions de travail, qui justifierait de les qualifier de traditionnelles ? Ces luttes se renouvellent-elles au contraire en relation avec les dynamiques du capitalisme financier elles-mêmes en mouvement (lean management, éloignement des lieux de décision, investissements à effet de levier, rachat d’actions, etc.) ? La question des discriminations (liées au genre, à l’âge, à l’origine ethnoraciale, à l’appartenance syndicale ou à d’autres caractéristiques) ayant fait l’objet d’un fort investissement juridique ces dernières années, sert-elle ou non d’appui à un regain syndical ?

On peut enfin se demander dans quelle mesure les dynamiques de "renouveau" observables en France sont comparables aux récentes mobilisations importantes qu’ont connues d’autres pays.

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